La gestion des risques des chaînes logistiques : état des lieux et perspectives
Article publié le 16 janvier 2023
Avec la mondialisation des marchés et la complexité croissante des chaines logistiques, les entreprises se doivent d’évaluer plus scrupuleusement les risques associés pour assurer la continuité de leurs activités. Les conséquences potentielles en termes de qualité et de sécurité des produits doivent devenir une préoccupation constante pour les entreprises. La pandémie de COVID-19 a mis à l’épreuve la résilience et la stabilité des flux logistiques de manière imprévisible et sans précédent, et a également mis en évidence la fragilité des interdépendances au sein même des chaînes d’approvisionnement.
Pour survivre, les entreprises ont dû accepter ces changements et être plus proactives dans la gestion de leurs flux d’approvisionnement. La résilience d’une entreprise dépend en partie d’un solide programme de gestion des fournisseurs et d’une surveillance constante des risques, tant existants qu’émergents. Des chocs extérieurs (Covid-19, évènements géopolitiques, etc.) peuvent en effet entraîner des conséquences importantes sur la disponibilité des produits nécessaires à la production des biens et des services.
Quels sont les risques associés aux flux logistiques auxquels les entreprises devront faire face? Dans son rapport annuel sur les risques liés aux chaînes d’approvisionnement, Everstream Analytics identifie cinq menaces majeures que les entreprises se doivent de prendre en compte.
1. L’eau, une ressource stratégique
L’eau est une ressource clef pour l’ensemble des secteurs industriels. Selon les Nations Unies, cinq des onze régions du monde connaissent aujourd’hui des valeurs de stress hydrique supérieures à 25%. Cette menace s’accélère en raison de
la croissance démographique, de l’expansion urbaine et industrielle, et de l’augmentation de phénomènes météorologiques extrêmes comme les sécheresses et les inondations. Les principales voies navigables, par exemple le fleuve Panama en Amérique du Sud et le Rhin en Europe, ont connu des baisses records de leurs niveaux d’eau cette année, mettant en difficulté le transport fluvial des matières premières et des produits finis. L’approvisionnement limité en eau provoque également une flambée des prix et peut menacer les opérations dans de nombreux secteurs industriels.
2. Goulets d’étranglement du fret maritime
Comme nous l’avons vécu pendant la pandémie, le fret maritime continue de souffrir de la congestion et de retards dans les ports. D’autres facteurs tels que le faible niveau des stocks, la forte demande des consommateurs et les impacts continus de la pandémie du COVID-19 sur les ressources logistiques continuent de perturber les chaînes d’approvisionnement. Les fermetures temporaires de terminaux ou de ports entiers sont à l’origine de longs délais d’attente pour les navires. De plus, même lorsque les navires arrivent à destination dans les délais prévus, les entreprises peuvent rencontrer des difficultés de déchargement et d’expédition, entrainant des problèmes de qualité pour les produits dont la durée de conservation est plus courte. En mars 2021, le blocage du canal de Suez pendant six jours a interrompu le trafic maritime et entraîné des répercussions sur l’ensemble du système, démontrant ainsi à quel point l’infrastructure des flux d’approvisionnement mondiale peut être vulnérable.
3. La “grande démission”
Dans ce qui est appelé la « grande démission », les employés quittent en masse certains emplois et notamment ceux liés au secteur logistique et au transport, ce qui tend à perturber les flux des chaines d’approvisionnement. Les entreprises d’expédition et de transport courent un risque accru de voir leurs opérations être perturbées par des grèves, des pénuries de travailleurs et de chauffeurs routiers, des retards dans les ports, et par les conséquences toujours présentes de la pandémie de COVID-19.
4. Un changement de la stratégie du « juste-à-temps » à celle du « au-cas-où »
Ces dernières années, les stratégies du « juste-à-temps » et du « zéro stock » se sont révélées des méthodes très rentables et très efficaces pour gérer les chaines de production et d’approvisionnement. Face aux effets de la pandémie de COVID-19, les entreprises commencent à changer d’état d’esprit pour adopter un modèle du « au-cas-où » en maintenant un stock de sécurité de matériaux critiques ou bien de produits finis à forte demande. Cette stratégie augmente mécaniquement les coûts en raison des besoins supplémentaires en espace de stockage, en main d’œuvre et en assurance. Cela accroit également le risque d’obsolescence des stocks. La poursuite des confinements dans certains pays et la fermeture des frontières retarderont tout retour rapide à des pratiques centrées autour du « juste-à-temps ».
5. L’impact de la réglementation
Les responsabilités sociales et environnementales des entreprises (les critères ESG) deviennent des risques majeurs pour les organisations, et pas seulement pour protéger leur réputation. Certains pays ont adopté des lois responsabilisant les entreprises et leurs fournisseurs sur le respect des droits de l’homme dans les chaînes d’approvisionnement. Certaines de ces lois prévoient des sanctions importantes pour les entreprises les enfreignant, notamment des amendes, la saisie des expéditions, voire l’exclusion des marchés publics pendant plusieurs années.
Pour assurer la résilience de leurs activités, les entreprises se doivent de prêter attention à ces différentes menaces. Control Risks accompagne des entreprises du monde entier sur la mise en place de mesures pouvant anticiper et atténuer ces risques. Les conseils suivants constituent des mesures clés que les entreprises devraient envisager.
Rester agile
Les entreprises doivent faire preuve d’agilité en sélectionnant dans la mesure du possible des fournisseurs situés à proximité afin de garantir un flux régulier de matériaux, ce qui peut nécessiter des arbitrages délicats entre la disponibilité, les coûts, les risques et la croissance potentielle. L’utilisation de modèles de gestion de risques appuyés sur la technologie peut aider les entreprises à prendre les bonnes décisions en fonction de tous ces paramètres. Pour cela, l’évaluation et l’examen minutieux des fournisseurs est primordial pour déterminer l’exposition aux risques.
Faire preuve de flexibilité
Les mesures prises par les entreprises pour s’adapter à ce nouvel environnement très volatile ont souvent impliqué le choix d’une plus grande flexibilité pour les chaines d’approvisionnement et de distribution. Une des étapes cruciales consiste à effectuer des audits des fournisseurs pour mieux comprendre leurs contraintes, construire la confiance mutuelle et vérifier la conformité avec les accords commerciaux.
Les audits des fournisseurs peuvent révéler des lacunes dans les processus qui pourraient entraîner un problème de sécurité des produits, une étape extrêmement importante étant donné les problèmes de chaîne d'approvisionnement mentionnés ci-dessus. D'autant plus que, comme nous l'avons vu, le contexte a pu entrainer un relâchement des normes de qualité et de sécurité. Lorsque des lacunes sont identifiées, des mesures correctives sont nécessaires, ce qui peut impliquer la recherche de fournisseurs alternatifs.
Moderniser
Une autre stratégie adoptée par les entreprises a été la modernisation de leurs opérations. Pouvoir disposer de données en temps réel offrant une visibilité complète sur votre chaîne d'approvisionnement rendra votre entreprise mieux préparée à gérer une interruption dans la chaîne d'approvisionnement ou à anticiper des ralentissements ou des blocages, qui par effet domino peuvent avoir des effets majeurs sur l’activité.
L’optimisation de la productivité et les arbitrages entre les ressources permettent de respecter les délais de livraison et de gérer les contraintes de capacité, ce qui contribue à atténuer les risques associés à la qualité des produits.
Afin de maintenir ou d’améliorer les livraisons dans les délais, la production et les stocks doivent évoluer d’une stratégie de « juste-à-temps » vers des pratiques du type « au-cas-où ». Le re-engineering des produits peut être une autre stratégie possible lorsque la demande de matériaux ne peut être satisfaite pendant une période prolongée. Par ailleurs, les produits à durée de conservation courte, comme les aliments, risquent de se détériorer ou d’être contaminés si les stocks de sécurité augmentent. Des évaluations des risques sont nécessaires pour garantir la qualité et la sécurité des produits, et le respect des réglementations.
Utiliser la maintenance prédictive
Les programmes de maintenance prédictive prennent toute leur importance dans ce nouveau contexte. Du fait des long délais d’approvisionnement des pièces détachées, un programme d'entretien préventif complet peut aider à éviter les temps d'arrêt inutiles pour les machines critiques. De plus, cela peut permettre de limiter le risque de produit de qualité inférieure résultant de l’utilisation de machines non entretenus correctement.
L’importance renouvelée de la conformité réglementaire
La réalisation d'audits de responsabilité sociale (critères ESG) deviendra de plus en plus importante afin de pouvoir se conformer aux nouvelles réglementations concernant les droits de l'homme dans la chaîne d'approvisionnement.
Les entreprises qui se sont livrées à des pratiques commerciales contraires à l'éthique, consciemment ou non, courent un plus grand risque de subir des sanctions de la part des gouvernements, de subir des rappels de produits non conformes ou dangereux, et de voir leur image de marque ou leur réputation ternie.
Les entreprises devront également se tenir au courant de l'évolution constante des réglementations en matière de sécurité des produits afin d'éviter les cas de non-conformité et les risques de rappel, d'amendes et de sanctions gouvernementales.
Améliorer la traçabilité
Les entreprises cherchent de nouveaux moyens pour optimiser la traçabilité des produits tout au long des flux d’approvisionnement et de distribution en tirant parti des nouvelles technologies pour assurer des produits sûrs et auditables.
En particulier dans l’industrie alimentaire et dans le cadre de l’initiative « New Era of Smarter Food Safety » de la FDA, la traçabilité est un facteur clé pour assurer la sécurité des produits alimentaires.
La traçabilité de bout en bout concerne tous les acteurs de la chaîne d'approvisionnement, car en cas de problème de qualité d’un produit, il est essentiel de pouvoir retracer rapidement tous les produits concernés dans l'ensemble du système.
L'interconnexion des données tout au long de la chaîne d'approvisionnement permettent une visibilité significative sur la chaîne de valeur des produits et de fournir les moyens de protéger les consommateurs contre les produits nocifs.
Avec toutes les perturbations des chaînes d’approvisionnement que les entreprises ont subies ces dernières années, les menaces auxquelles elles peuvent s'attendre à l'avenir et l’inévitable volatilité des risques, il est essentiel qu’elles puissent disposer d’une bonne visibilité sur leurs flux logistiques entrant et sortant.
Les entreprises doivent réévaluer les risques et disposer d’une stratégie efficace pour les éviter, les atténuer et y répondre en cas de survenance. Elles doivent également revoir et mettre à jour les méthodes de gestion des flux afin de se préparer à toutes sortes de circonstances. La préparation et la flexibilité seront les clés de la résilience de la chaîne d’approvisionnement de votre entreprise.
Original English version: Supply Chain Risks for 2022 and Beyond by Carol Kozlowski, Daniel Sachs and Matthew Hinton