La France à la conquête de l’Afrique anglophone
La France à la conquête de l’Afrique anglophone
Valentin Robiliard, Analyste Afrique, Control Risks Paris
En juillet, Emmanuel Macron lançait à Lagos un club d’affaires franco-nigérian. En décembre dernier, il réalisait au Ghana la première visite d’un chef d’Etat français, et visitait à Accra un incubateur d’entreprises. Parallèlement, Décathlon inaugurait des enseignes en Afrique du Sud, au Ghana et au Kenya, et la Société Générale ouvrait un bureau à Nairobi. Dans les prochains mois, des délégations de chefs d'entreprises françaises sont attendues en Afrique du Sud, au Zimbabwe et au Liberia.
Voyant ses parts de marché en Afrique fondre au profit de la Chine ou de la Turquie, la France réoriente sa stratégie africaine. Selon l’expert de l’assurance-crédit Coface, les parts de marché à l’exportation de la France en Afrique ont diminué de moitié de 11% à 5.5% entre 2000 et 2017, pendant que celles de la Chine passaient de 3% à 18%. La chute est particulièrement marquée en Afrique francophone, où les parts de marché françaises ont fondu de 26% à 12%, avec des reculs impressionnants notamment au Sénégal ou au Cameroun. Ce constat oblige la France et ses opérateurs économiques, s’ils veulent rester compétitifs, à repenser leur approche, sortir de leur pré-carré francophone, et investir les marchés anglophones. Pour le gouvernement, c’est aussi une opportunité de redéfinir la relation franco-africaine en investissant un terrain plus neutre, sans passif colonial, et de s’assurer que le pays reste un acteur clé sur le continent.
Les opportunités sont nombreuses. Au Nigeria, même si le secteur pétrolier reste roi, les secteurs non-pétroliers tels que l’agriculture, la construction, la banque et les télécommunications ont pris de l’ampleur ces dernières années. Avec 190 millions d’habitants, le pays est un marché incontournable. Cependant, des inquiétudes persistent quant à la santé du Président Muhammadu Buhari, aux élections présidentielles de 2019, et aux menaces sécuritaires dans le nord-est, le centre et le Delta du Niger.
Autre marché important, le Ghana et ses 28 millions d’habitants. De belles opportunités y existent dans les services, mais aussi dans l’agriculture et les industries extractives. Le pays, l’un des plus stables de la région, est aussi bien classé dans le classement Doing Business de la Banque mondiale. Cependant, les opérateurs économiques continuent de se plaindre de la bureaucratie et des problèmes d’infrastructure, notamment d’électricité.
Plus à l’est, on trouve au Kenya des opportunités dans le secteur financier et bancaire (notamment mobile), les télécommunications, la grande consommation, et les énergies renouvelables. Le pays sert aussi de carrefour économique et logistique pour toute l’Afrique de l’Est. Bien que l’élection présidentielle controversée de 2017 et la menace terroriste dans la région aient pu freiner certains investisseurs, les perspectives de croissance restent bonnes.
Parallèlement, le voisin Ethiopien a vu des investissements considérables dans l’infrastructure, l’industrie, les ressources naturelles et les services. Avec ses 100 millions d’habitants, une main d’œuvre abondante, des ressources diversifiées, une énergie à bas prix et des réformes pour encourager l’investissement, le pays offre de réels atouts. Cependant, le gouvernement protectionniste garde un contrôle considérable sur des secteurs stratégiques tels que les banques et les télécommunications.
Enfin, en Afrique du Sud, premier bénéficiaire d’investissements directs étrangers en Afrique, les opportunités sont nombreuses dans le secteur minier, financier, manufacturier, du transport ou de la grande consommation. Cependant, malgré des institutions fortes, une idéologie libérale, et une infrastructure développée, des inquiétudes persistent quant aux tensions sociales et à la criminalité, l’accès à l’électricité et la volatilité de la devise.
Dans ces pays anglophones, les entreprises françaises détiennent en moyenne moins de 3% de part de marché. Tout est donc à faire. Si les groupes français ne bénéficieront probablement pas de la même force de frappe diplomatique qu’en Afrique francophone, les liens commerciaux des pays anglophones restent nettement plus diversifiés, offrant une place aux entreprises françaises qui sauront se montrer compétitives. Les groupes français doivent donc repenser leur approche, développer une connaissance du terrain anglophone, tisser des liens locaux et savoir se démarquer sur ces nouveaux marchés.
Control Risks en Afrique
Etabli en 1975, Control Risks est un cabinet de conseil international spécialisé dans la gestion des risques. Nous accompagnons depuis plus de quarante ans des organisations du secteur public et privé pour éclairer leurs décisions stratégiques et leur permettre d’agir en pleine connaissance du contexte politique, économique et sécuritaire dans leurs zones d’opérations.
Nos activités en Afrique sont gérées depuis nos bureaux à Paris et Londres et nos bureaux régionaux à Dakar, Lagos, Port-Harcourt, Nairobi, Johannesburg et Maputo. Nos équipes d’analystes et de consultants se rendent régulièrement sur le terrain pour mener des recherches, approfondir nos réseaux ou accompagner des clients dans leurs projets. De la cartographie des acteurs clés à l’analyse du cadre juridique ou à l’évaluation des menaces sécuritaires, nous avons notamment accompagné de nombreuses entreprises dans leurs investissements en Afrique anglophone.
Valentin Robiliard est analyste Afrique, en charge notamment de l’Afrique de l’Ouest et centrale. Il contribue aux services de veille politique et sécuritaire de Control Risks, et fournit des services de conseil pour les entreprises opérant dans la région.