Tensions entre la France et la Turquie – Quels impacts pour les investisseurs?

 

Tensions entre la France et la Turquie - Quels impacts pour les investisseurs?

Article publié le 31 janvier 2021 | George Dyson

Des tensions importantes entre la France et la Turquie sont apparues en 2020. La Turquie et la France s'affrontent sur plusieurs questions géopolitiques et les chefs d’Etat des deux pays ont échangé des mots critiques et sévères l’un envers l’autre. Durant les derniers mois, la France a déployé un navire de guerre dans l’est de la Méditerranée et le gouvernement turc a même lancé un appel au boycott des produits français.

La France est motivée en partie par un désir d'être plus présente et plus puissante dans la région méditerranéenne.  Parmi toutes ces questions, la source la plus active de tensions reste le soutien de la France auprès de ses partenaires de l'Union Européenne, la Grèce et Chypre, dans le contentieux avec la Turquie relatif à la délimitation des zones maritimes en mer Egée. Une résolution de ces confrontations s'annonce possible mais les événements pourraient aussi bien se dérouler autrement. Durant un sommet récent des pays de l’OTAN, la Turquie s'est retrouvée particulièrement isolée, plus qu'elle a ne l’a jamais été depuis des décennies.

A cela s’ajoute la menace de sanctions imposées par les Etats-Unis et l'Union Européenne sur la Turquie. 

Les entreprises françaises devraient-elles se préoccuper de ces développements et donc redéfinir leur politique d’investissement en Turquie ? 

A première vue, les entreprises françaises ne sont finalement pas plus impactées que d’autres entreprises basées dans d’autres pays de l’UE malgré le boycott et des échanges tendus. Les tensions au niveau politique entre la France et la Turquie n’ont finalement pas entraîné de conséquences majeures pour les entreprises - ce qui n'a pas toujours été le cas dans les conflits où la Turquie était impliquée. La menace de sanctions est certes crédible mais pour les organisations commerciales, cette menace n’est pas forcément une question aussi préoccupante que cela pourrait paraître.

Tout d'abord, l'appel lancé en octobre dernier à boycotter les produits français n'a pas généré beaucoup d'engouement - le focus principal étant fixé sur des produits haut de gamme - et le momentum du boycott s'est déjà estompé. Pour rappel, un désaccord entre la Turquie et les Pays-Bas en 2017 - liée aux restrictions hollandaises sur les activités des hommes et femmes politiques turques – avait abouti à un appel au boycott des produits hollandais en Turquie. Après quelques actions menées par les activistes turcs sur les réseaux sociaux (y compris une vidéo montrant des activistes poignardant des oranges symbolisant les Hollandais), l'attention du public s'est vite dissipée.

Malgré la ligne parfois dure de sa rhétorique, le gouvernement turc du Parti de la Justice et du Développement (AKP) veut absolument attirer les investissements étrangers. L'AKP a des objectifs très ambitieux de croissance et voit l'investissement étranger comme une des clés pour libérer le potentiel de son économie et se débarrasser des problèmes du passé, ayant reçu très peu d'investissements étrangers ces dernières années. Les investisseurs étaient particulièrement inquiets de l'incertitude politique - la Turquie étant passée par une élection ou un référendum presque chaque année depuis 2014 - sans mentionner le coup d’Etat raté de 2016. De plus, la Turquie est souvent l’objet de critiques dans la presse internationale liées à l'affaiblissement de l'état de droit dans le pays, notamment depuis la tentative de coup d’Etat.  

Pour combattre cette image, le gouvernement a démontré à maintes reprises avec peu d'exceptions qu'il était prêt à faire en sorte que les entreprises étrangères ne soient pas touchées par les problèmes de politique intérieure ou par les crises internationales. En juillet 2017, des tensions entre la Turquie et l'Allemagne ont atteint un sommet. Le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, avait adressé à la chancelière Angela Merkel des mots plus durs encore que ceux qu'il avait employés plus récemment contre Emmanuel Macron. Le premier ministre de la Turquie à l'époque, Binali Yildirim, très proche de Recep Tayyip Erdogan s’est employé personnellement à soutenir les investissements allemands en Turquie en rencontrant les dirigeants des plus grandes entreprises allemandes présentes dans le pays. Le gouvernement turc souhaite et a besoin des investissements étrangers.   

Un domaine où les entreprises françaises pourraient être maintenant plus désavantagées concerne les appels d'offres gouvernementaux où le risque de partialité dans les décisions est bien présent. Cependant, les institutions turques ne devraient probablement pas traiter les entreprises françaises différemment que celles venant d'autres pays de l’Union Européenne. Pourquoi ? Les officiels turcs vont surtout vouloir démontrer qu'ils font tout leur possible pour faciliter l’arrivée des investissements étrangers quel qu’il soit leur origine. En entrant sur le marché turc, les entreprises devront établir des canaux de communication solides avec les parties prenantes au sein du gouvernement. Et une fois établies sur le marché, les entreprises recevront sans aucun doute un soutien important des fonctionnaires publiques turcs, encore plus lorsque la taille des investissements est conséquente. 

Cappadocia, Turkey


Et les sanctions dans tout ça ? 

La Turquie fait face à la menace très crédible d’imposition de sanctions par les États Unis ou l'Union Européenne au cours de cette nouvelle année qui démarre. Cependant ces sanctions ne vont probablement pas empêcher l'activité des entreprises d'une manière significative. Les sanctions seront probablement ciblées contre certains individus ou organes gouvernementaux. De nombreuses entreprises européennes et américaines ont des intérêts économiques en Turquie et le pays est considéré comme une barrière pour protéger l'Europe face à l'instabilité du Moyen-Orient. En conséquence, les partenaires internationaux de la Turquie hésiteront donc à prendre des mesures qui risqueraient de détériorer l’économie du pays et donc sa stabilité. L’un des points relatifs aux possibles sanctions contre la Turquie à surveiller de près concerne un procès en cours aux Etats Unis qui implique la banque publique turque, Halk Bank. Dans le plus extrême des scenarii, cette situation pourrait engendrer des difficultés supplémentaires pour d’autres banques publiques turques, sans pour autant créer des tensions additionnelles pour les autres secteurs qui subiront un impact probablement limité. Dans ce contexte, une conséquence de potentielles mesures sera de limiter l’appétit des investisseurs désireux d’investir en Turquie et d’affaiblir encore une fois la force de la monnaie.

Au-delà des risques évoqués, quelles sont les opportunités à saisir ? 

Le gouvernement turc offre un large et généreux éventail de subventions pour les entreprises qui souhaitent investir dans le pays - surtout pour celles qui sont prêtes à s’installer dans l'Est du pays. Le gouvernement adapte régulièrement les régulations dans certains secteurs pour les rendre plus attirants aux investisseurs et notamment dans le secteur minier avec pour objectif de multiplier par 3 les exportations à l’horizon 2023.  

La livre turque a vécu l’une des plus fortes dépréciations d'une monnaie en 2020, perdant beaucoup de valeur par rapport au dollar. Par conséquent, les actifs en Turquie sont désormais très peu chers pour des entreprises qui encaissent des euros, tout en offrant des coûts d'exploitation faibles et en disposant d'une main d'œuvre qualifiée. Cependant la possibilité de futures fluctuations de change pose des défis de taille auxquels les entreprises seront confrontées.  

La Turquie est un marché complexe dont la politique intérieure, l’économie et la situation géopolitique font réfléchir les investisseurs. Cependant, pour ceux qui sont prêts à s'engager et à faire face aux défis que représentent le pays, il existe de nombreuses opportunités prometteuses.