La course à l'approvisionnement en minerais essentiels pour accompagner la transition énergétique se heurte à un réel problème de financement. Alors que les pouvoirs publics soulignent de plus en plus la nécessité d’accéder à ces minerais, le financement traditionnel de ces matières premières pour les sociétés minières s'est largement tari depuis la pandémie du Covid-19. De plus, les prix au comptant des minerais essentiels restent faibles depuis le début d’année 2024, incitant davantage les sociétés minières à se tourner vers des sources de financement alternatives. Ces stratégies de financement innovantes suscitent un certain optimisme dans un contexte économique généralement précaire. Toutefois, ces nouvelles structures de financement et d'investissement exposent les investisseurs à une nouvelle panoplie de risques réglementaires, politiques, et financiers qu’il faudra anticiper.
L'intervention et le financement des pouvoirs publics prospèrent
Le marché des minéraux essentiels est largement influencé par les interventions étatiques à tous les niveaux de la chaîne d'approvisionnement. Malgré une demande croissante des consommateurs pour des solutions en ligne avec les efforts de transition énergétique, la demande de certains minerais essentiels, tels que le lithium, reste volatile. Afin de dynamiser un marché particulièrement timide, les politiques publiques stimulent la demande en minéraux essentiels et favorisent ainsi le développement de chaînes d'approvisionnement plus diversifiées et plus fiables. Aux États-Unis, la stratégie fédérale de 2019 visant à garantir des approvisionnements sûrs et fiables en minéraux essentiels et la législation qui en découle, telle que la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act; “IRA”), tendent à renforcer, fiabiliser et rapprocher les chaînes d'approvisionnement en minéraux essentiels. En Europe, la loi européenne sur les matières premières essentielles, adoptée en décembre 2023, poursuit des objectifs similaires.
Les préoccupations relatives à la sécurité nationale liées aux chaînes d'approvisionnement transcendent les clivages politiques, soulignant ainsi la probabilité que les législations concernant les minéraux essentiels demeurent stables malgré les changements politiques. En outre, ces politiques bénéficient d'un soutien financier à long terme de plus en plus important. Les investissements miniers soutenus par les États se sont accrus dans le monde entier, notamment en Asie et au Moyen-Orient (Chine, Corée du Sud et Émirats arabes unis). Les pays du G7 ont mis en place plusieurs fonds, subventions et incitations fiscales couvrant un large éventail de domaines, du crédit d'impôt pour l'exploration de minerais essentiels au Canada (Critical Mineral Exploration Tax Credit) au crédit d'impôt pour les véhicules propres de l'IRA, afin de promouvoir leurs objectifs stratégiques.
Figure 1 : Demande minérale indexée pour les technologies énergétiques propres - par minerai (scénario des politiques actuelles, 2022-2050)
Le développement du financement alternatif
Malgré le soutien croissant des États, le financement des minéraux essentiels reste un défi majeur. Les prix au comptant des principaux minéraux essentiels tels que le lithium, le cobalt, le cuivre, le manganèse, le zinc, les terres rares et le nickel, ont récemment chuté après avoir pourtant fortement augmenté en 2021 et 2022. Bien qu'ils demeurent nettement supérieurs aux niveaux d'avant 2020, les sociétés minières commencent à ressentir une pression accrue sur la viabilité de leurs projets, ce qui limite l’accès au capital à court terme. La baisse des prix des matières premières entraîne un désavantage croissant pour les minéraux essentiels, en particulier le lithium et le nickel, par rapport à l'offre provenant de mines plus rentables situées en bas de la courbe des coûts. Les « jeunes » sociétés minières en particulier seront contraintes de revoir à la baisse leurs objectifs stratégiques dans les mois à venir.
La prolifération de « jeunes » sociétés minières spécialisées dans les minéraux essentiels a accentué la compétition pour l'accès à ces capitaux. Les introductions en bourse de ces entreprises représentent une part croissante des nouvelles inscriptions sur les principales bourses mondiales spécialisées dans l'exploitation minière. La fragmentation du marché en raison de la présence de multiples acteurs suggère que les projets miniers essentiels à la transition énergétique risquent de ne plus être rentables. En effet, un nombre croissant de sociétés sont mises en vente, ont recours à des financements d’urgence, retardent le calendrier de leurs projets ou sont même placées sous contrôle judiciaire en raison de contraintes financières. Si certains gouvernements ont réagi par des mesures politiques cherchant à protéger les sociétés minières de la faillite, il s'agit principalement de solutions palliatives.
Dans ces conditions de marché de plus en plus difficiles, les sociétés minières se tournent davantage vers des financements alternatifs afin de capitaliser leurs activités. Nous observons une augmentation significative du recours à des financements alternatifs pour capitaliser l’activité des entreprises minières avec, en tête, une augmentation des redevances sur les minéraux essentiels et des financements en continu. Dans ce contexte, les sociétés minières proposent une partie de leurs revenus futurs en échange d'un paiement anticipé tandis que les sociétés de capital-investissement spécialisées dans le secteur minier offrent aux investisseurs un portefeuille de produits plus diversifié afin de couvrir les risques.
Parallèlement, les entreprises cherchant à sécuriser leurs approvisionnements en minéraux essentiels fournissent également de nouvelles sources de financement. Les géants de la technologie et les fabricants de véhicules électriques ont intensifié leur implication dans leurs chaînes d'approvisionnement ces dernières années, en signant des accords d'achat à long terme directement avec les mines et en investissant dans des segments de la chaîne de valeur.
Blocage des infrastructures : Un obstacle majeur
Outre des besoins de financement évidents pour faciliter l’extraction des minerais essentiels, il est également impératif d’investir dans les infrastructures de soutien telles que les chemins de fer, les ports et la production d’électricité. C’est précisément dans cette optique que les Etats-Unis et l’Union européenne soutiennent le développement du corridor de Lobito, visant à faciliter l’exportation de cuivre et de cobalt via l’Atlantique depuis la « Copperbelt » – la ceinture de cuivre en Zambie et en République démocratique du Congo.
Les infrastructures adaptées sont essentielles afin d’assurer la viabilité des projets, mais le défi du faible taux de rentabilité interne (TRI) persiste. Par conséquent, les chaînes d'approvisionnement des minéraux essentiels ont un besoin pressant d’investissements multilatéraux, nationaux et privés pour combler les lacunes existantes en matière d’infrastructure et, ainsi permettre d’accélérer la transition énergétique.
Les risques émergents
Les pressions croissantes exercées sur les sociétés minières pour obtenir des fonds exposent les investisseurs à des risques importants. De toute évidence, les sociétés minières sont davantage incitées à se livrer à la fraude et à d'autres formes d'irrégularités pour s'assurer le soutien financier dont elles ont tant besoin. Control Risks a accompagné les entreprises dans la vérification d’un certain nombre de risques liés à la propriété, à l'exposition politique et à la criminalité financière, en particulier ceux liés à des sociétés écrans obscures et à des sociétés d'acquisition à vocation spécifique dans le secteur.
Par ailleurs, le financement public du marché des minéraux essentiels est soumis à des conditions restrictives. Les gouvernements du monde entier ne sont pas seulement préoccupés par l'augmentation de leur approvisionnement, mais également par sa sécurisation ce qui entraîne souvent des restrictions pour les partenaires et les clients. Par exemple, la participation d'une « entité étrangère suspecte » dans la chaîne d'approvisionnement d'une batterie pourrait rendre un véhicule électrique inéligible au crédit pour véhicule propre aux États-Unis dans le cadre de l'IRA. Cette situation met en lumière la nécessité d'avoir accès à des informations fiables et actualisées sur les différents fournisseurs, afin d'assurer une visibilité accrue et un contrôle optimal des chaînes d'approvisionnement pour les opérateurs.
Plus généralement, la demande pour les minéraux essentiels a renforcé l'influence des pays détenant ces ressources. Les puissances mondiales rivalisent davantage et mobilisent tous leurs leviers diplomatiques afin de sécuriser leur approvisionnement. Considérant l’importance de la demande, les pays riches en ressources adoptent quant à eux une posture de plus en plus assertive en interdisant notamment les exportations et en nationalisant les industries minières. Par exemple, afin d’encourager la transformation au niveau national, le Zimbabwe a interdit toutes les exportations de lithium en décembre 2022, et la Namibie a interdit l’exportation de minerais essentiels non traités en juin 2023. De même, le Chili et le Mexique ont décidé de nationaliser leurs industries du lithium en 2023.
Traduction de l'article anglais, « Critical minerals: weak signals in upstream financing », rédigé par Eric Humphery-Smith et Barnaby Fletcher, traduit par Josephine Azoulay et Isaac Greenman.