Plus de trois ans après le coup d'État du 5 septembre 2021, nous faisons le point sur l'avancement de la transition dirigée par la junte militaire – le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) – sous la direction du Général Mamady Doumbouya. Nous examinerons également les perspectives pour les années à venir avec une attention particulière sur les implications pour les opérateurs miniers.
Vulnérabilités croissantes
Les derniers mois ont été particulièrement difficiles pour Doumbouya. Bien que le coup d'État ait été initialement bien accueilli par l’opinion publique et les groupes d'opposition qui avaient subi une répression significative sous l'administration de l'ancien président Alpha Condé (2012-21), les tensions accrues avec l'opposition et une série d'incidents majeurs ont mis en lumière la fragilité tant de Doumbouya que de la junte, affaiblissant leur autorité et leur légitimité.
En novembre 2023, une unité commando a lancé une attaque contre la prison centrale de Conakry afin de libérer quatre détenus du procès du massacre du 28 septembre 2009, y compris l'ancien président et leader de la junte Moussa Dadis Camara (2008-10). L'incident, qui s'est produit au centre-ville de Conakry, a révélé les vulnérabilités évidentes de l'appareil sécuritaire de la junte, aggravées par le fait que l'un des détenus s’est échappé pendant près de 10 mois. En juin 2024, l'arrestation de l'ancien chef d'état-major de l'armée (2021-23), le colonel Sadiba Koulibaly, a éveillé des soupçons selon lesquels des individus au sein de l'appareil de sécurité auraient tenté de préparer un coup d'État contre Doumbouya.
Les tensions ont également été palpables sur le plan social. La grève lancée en février par la plus grande confédération syndicale – la Confédération Nationale des Syndicats (CNTG) – pour protester contre la censure des médias, les restrictions sur les réseaux sociaux et l'arrestation d'un journaliste et leader syndical, a mis en évidence la sensibilité de la junte face aux mouvements de protestation à grande échelle. De plus, l'explosion, le 18 décembre 2023, du seul dépôt de carburant de Conakry a depuis provoqué d'importantes coupures de courant et exacerbé le mécontentement populaire.
Résultats mitigés
Les autorités ont réagi à cette légitimité en déclin et à l'augmentation des contestations par des méthodes violentes et agressives. Au cours de l'année écoulée, les autorités ont censuré les stations de radio et de télévision critiques ou perçues comme telles, laissant environ 1 000 personnes techniquement au chômage. Parallèlement, depuis le 9 juillet, deux militants bien connus du mouvement de la société civile Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) sont portés disparus, avec de fortes indications que les autorités seraient impliquées. Les forces de sécurité ont systématiquement utilisé la force pour réprimer les mobilisations spontanées, entraînant la mort d'au moins neuf civils depuis janvier. Elles sont également soupçonnées d'avoir eu recours à la torture contre des individus perçus comme des complotistes, y compris Koulibaly qui est décédé en détention en juin.
Cependant, la stratégie de la junte a donné lieu à des résultats mitigés. La création d'un climat de peur a permis de maintenir un faible niveau de mobilisations dans la rue et a probablement empêché qu'un coup d'État se concrétise, mais cela a également considérablement détérioré la légitimité de la junte. Le large soutien populaire qui a suivi le coup d'État s'est transformé en mécontentement croissant et en frustration, ce qui affaiblira probablement la junte à plus long terme et compromettra toute candidature potentielle aux prochaines élections présidentielles. Par conséquent, la réputation de la junte a été ternie et de nombreuses organisations de défense des Droits de l'Homme telles qu'Amnesty International et l'ONU ont exprimé leurs préoccupations concernant la détérioration du climat démocratique. Cependant, la situation n'a pas encore conduit à des retombées diplomatiques majeures avec les partenaires régionaux et internationaux. Le CNRD n'a pas suivi les autres juntes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger en rompant les liens avec la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et en se réalignant avec l'Occident ; au contraire, il a cherché à préserver ses relations avec la France et l'Occident dans le cadre d'une politique de non-alignement.
En fin de compte, le climat de peur actuel n’a pas préservé la junte des mouvements de déstabilisation à grande échelle susceptibles de survenir dans les mois à venir. Bien que la participation soit restée faible, le retour probable dans les mois à venir du leader de l'opposition Cellou Dalein Diallo, actuellement en exil au Sénégal, et son arrestation potentielle pour des accusations de corruption pourraient déclencher des mobilisations à plus grande échelle.
Stagnation politique et transition retardée
Doumbouya et la junte ont largement échoué dans leur but d’obtenir le soutien de la classe politique dans la gestion de la transition. Les groupes d'opposition se sont fait de plus en plus entendre ces derniers mois, critiquant la gestion de la transition par la junte, notamment les nombreux retards, les mesures répressives contre la dissidence et la monopolisation de la transition par la junte.
Bien que l'accord de deux ans conclu en octobre 2022 avec la CEDEAO stipule que la transition prendrait fin en janvier 2025, le Premier ministre Bah Oury a annoncé en mai que le référendum constitutionnel aurait lieu à la fin de 2024, reportant de facto les élections au moins jusqu'à la fin de 2025. Parallèlement, le projet de constitution publié en août 2024 n'inclut pas de dispositions interdisant aux membres du CNRD de se présenter aux prochaines élections, une promesse faite par Doumbouya après le coup d'État. Cela est susceptible d'ouvrir la voie à Doumbouya pour se présenter aux élections lorsque la transition prendra finalement fin, probablement en 2026.
Un environnement des affaires résilient
Ces tensions n'ont pas eu d'impact significatif sur les entreprises, y compris les opérateurs miniers. Les exportations de bauxite ont, par exemple, augmenté de plus de 60% depuis le coup d'État, consolidant la position de la Guinée en tant que premier producteur mondial de bauxite. Doumbouya et la junte ont maintenu une position favorable aux entreprises, cherchant activement à attirer des investissements, notamment dans le secteur minier. La junte pourra mettre en avant le projet de minerai de fer de Simandou, prévu pour débuter sa production d'ici la fin de 2025 après des années de retards et de litiges, comme preuve de l'attractivité de la Guinée sous le régime militaire.
Cependant, la nationalisation des ressources et l'augmentation des exigences en matière de contenu local continueront à exercer une pression sur les opérateurs miniers, la junte étant déterminée à garantir une augmentation des revenus de l'État et à renforcer les exigences de contenu local. À la fin de 2022, elle a instauré un prix de référence (minimum) pour la bauxite afin d'empêcher les opérateurs de sous-évaluer leurs ventes à des entreprises affiliées aux activités offshore. Récemment, les autorités ont également envisagé de créer une entreprise nationale pour le transport maritime de la bauxite, afin de générer des revenus plus élevés. Une loi établissant un nouvel organisme de régulation du contenu local (ARCCL) a été adoptée en avril, bien que l'agence ne soit pas encore opérationnelle. Les autorités ont également intensifié la pression sur les entreprises de bauxite pour qu'elles progressent vers la construction de raffineries d'alumine, même si le manque d'approvisionnement électrique fiable demeure un sérieux obstacle.
Le remplacement de l'ancien ministre des mines Moussa Magassouba (2021-24), par Bouna Sylla en mars dernier, qui apparaît comme un interlocuteur plus constructif, a facilité le déblocage bureaucratique et devrait probablement entraîner des relations plus fluides avec les opérateurs miniers au cours de l'année à venir. Sylla est néanmoins susceptible d'exercer un contrôle plus strict sur la conformité des entreprises face aux exigences de contenu local, certaines de nos sources indiquant qu'il est probable qu'il lance un plan pour auditer les contrats dans le secteur minier.
Malgré un environnement globalement positif, les entreprises continueront de faire face au risque d'une grève générale paralysant leurs activités. La grève de février 2024 n'a pas eu d'impact sur le secteur minier, mais cela reste possible dans les années à venir. Si les syndicats et la classe politique demeurent sans réponse, la Confédération Nationale des Syndicats (CNTG) pourrait chercher à mobiliser les travailleurs miniers, notamment en insistant sur certaines de leurs revendications, afin de perturber davantage l'économie du pays. Dans un tel scénario, les opérations minières seraient probablement temporairement suspendues et des mobilisations ou des actes de vandalisme au sein des communautés minières seraient probables.
Trois ans après la prise de pouvoir militaire, la Guinée navigue à travers sa transition avec beaucoup moins de perturbations commerciales que ses homologues sahéliens. Cependant, peu a été fait pour consolider les institutions, et les défis de gouvernance persistants suggèrent que la stabilité à long terme de la Guinée restera fragile. Bien que les entreprises évoluent dans l'environnement actuel avec une relative aisance, la potentielle détérioration de la situation demeure un facteur que les investisseurs doivent surveiller de près.