Les prochaines élections présidentielles et parlementaires turques se dérouleront le 14 mai 2023. Les sondages les plus récents laissent entrevoir une possible défaite du président Recep Tayyip Erdogan face à un candidat d’opposition. Cependant, Erdogan reste un politicien habile et expérimenté qui sait gérer les grandes échéances politiques. Sa défaite est donc loin d’être certaine. Depuis la réforme constitutionnelle de 2018, le président détient la fonction la plus puissante dans le pays avec un pouvoir exécutif presque illimité, présageant alors des conséquences importantes pour la Turquie ainsi que pour les entreprises, en cas de changement. 

Recep Tayyip Erdogan est au pouvoir depuis 2002, d’abord en tant que premier ministre et ensuite comme président à partir de 2014. Cependant, sa popularité et celle de son Parti de la Justice et du Développement (AKP, Islamiste modéré, centre-droit), pâtissent depuis quelques années de la situation économique de plus en plus précaire. En 2022, selon les chiffres officiels, la Turquie a enregistré un niveau d’inflation de 64%. Selon des économistes indépendants du pouvoir, le vrai niveau dépasserait plutôt 137% pour la seule année 2022. Parallèlement à la perte de valeur de la livre turque, les réserves monétaires diminuent.

En mars 2023, au moins sept sondages prédisaient une défaite d’Erdogan face à Kemal Kilicdaroglu, chef du plus grand parti d’opposition, le Parti Républicain du Peuple (CHP, séculariste). Kilicdaroglu a été désigné candidat d’unité nationale par une alliance de six partis d’opposition menée par le CHP. 

L’AKP reste le parti le plus populaire, crédité de 30 à 35% d’intentions de vote, et peut compter sur les 7% de son allié parlementaire, le Parti du Mouvement Nationaliste (MHP, extrême droite). Cependant, en 2018 les deux partis avaient fait mieux avec 42,6% et 11,1% des suffrages respectivement. Les sondages donnent 21 à 25% au CHP d’opposition, 12 à 18% à son allié Le Bon Parti (IP, extrême droite), et environ 6% pour les quatre autres partis de l’alliance, le Parti Démocratique (DP, libéral), le Parti du Futur (GP, autrefois lié à l’AKP), le Parti de la Félicité (SP, religieux) et le Parti de Démocratie et Progrès (DEVA, aussi issu de l’AKP).

Le président est élu via un vote direct. Si un candidat ne reçoit pas plus de 50% des votes au premier tour, un deuxième tour aura lieu le 28 mai entre les deux candidats qui auront reçu le plus grand nombre de votes. Les élections parlementaires se font via un système de vote proportionnel par circonscription électorale. Un parti doit recevoir plus de 7% du vote à l’échelle nationale pour avoir des sièges au parlement. Si le parti participe aux élections dans le cadre d’une alliance, c’est l’alliance et non pas chaque parti qui doit dépasser le seuil de 7%. 

Au-delà de ces deux blocs, participe également aux élections le Parti Vert-Gauche (YSP) (anciennement le Parti Démocratique des Peuples (HDP)), un groupement de partis de gauche, écologistes, féministes, et défendant certaines minorités ethniques, dont les kurdes. Le YSP a décidé de ne pas présenter de candidat pour l’élection présidentielle et s’est rallié à Kilicdaroglu. Ses électeurs (qui représentent entre 10 et 15% des votes lors des élections parlementaires) devraient préférer Kilicdaroglu à Erdogan mais tous ne suivront pas la consigne, en raison des racines nationalistes (turques) du CHP et de celles de son allié, l’IP.

Erdogan saura tirer parti des tensions entre les différents mouvements d’opposition pour tenter de se maintenir au pouvoir. Les médias pro-gouvernementaux pourraient par exemple parler des liens entre le YSP et des groupes militants kurdes pour suggérer des liens avec Kilicdaroglu. Si Erdogan venait à l’emporter, l’opposition contesterait probablement les résultats, déclenchant alors une vague de manifestations. De la même manière, une victoire de Kemal Kilicdaroglu déclencherait également des manifestations menées par les partisans d’Erdogan. Malgré la conjoncture économique très défavorable en Turquie, le pays fait face à relativement peu de mouvements de contestation. En 2013, des grandes manifestations contre le gouvernement ont mené à une crise politique. Depuis lors, les forces de l’ordre répriment plus durement les manifestations. Une probable vague de manifestations post-électorales présenterait sûrement d’importants défis de maintien de l’ordre, quel que soit le vainqueur.

En cas de victoire de l’opposition, un gouvernement mené par Kilicdaroglu ferait aussi face à de nombreux défis. Il hériterait d’une situation économique fragile et d’un appareil bureaucratique qui lui est hostile, rempli de partisans de l’AKP.
De plus, l’alliance de Kilicdaroglu autour de six partis est surtout unie par son opposition à Erdogan. Une fois celui-ci parti, les désaccords entre les membres de la coalition risquent de ressurgir.

Cependant, Kemal Kilicdaroglu et son gouvernement pourraient aussi profiter d’un regain d’intérêt des investisseurs étrangers. Son entourage a déjà indiqué que son gouvernement nouerait des relations plus cordiales avec l’Occident et les partenaires clés de la Turquie, contrastant avec l’approche polémique d’Erdogan.

Dans tous les cas, la Turquie traversera probablement cette année une période de turbulences politiques et sociétales. Ces turbulences pourront se propager à l’environnement des affaires, et donc impacter les entreprises françaises implantées dans le pays.

 

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